Un soldat sur le front occidental
Un lever de soleil majestueux éclaboussait le ciel matinal d’une campagne belge habituellement verdoyante. Très tôt, les chants joyeux des oiseaux furent interrompus par des explosions puissantes projetant d’énormes mottes de terre vers le ciel, tandis que l’odeur automnale des champs prêts à la récolte fut submergée par l’émanation pestilentielle de la gangrène et des bandages imbibés de phénol. Un tel cauchemar n’aurait jamais dû se produire.
Lors de la visite à Sarajevo de l’impopulaire archiduc d’Autriche-Hongrie, les nationalistes serbes clandestins protestaient contre le contrôle étranger de leur région et fomentèrent son assassinat. Dans le même temps, les Autrichiens affirmèrent que legouvernement serbe y avait participé et lancèrent un ultimatum destiné à écraser le mouvement nationaliste et à consolider leur contrôle sur les Balkans. Ils espéraient qu’une escarmouche se développerait et que leurs alliés Allemands seraient désireux de les aider dans leur objectif de conquête.
« Nous étions juste des enfants. Nous ne savions même pas ce que nous faisions là. Nous n’avions aucune idée de la cause pour laquelle on se battait. Je ne le sais toujours pas. »
Toutefois, comme c’est bien souvent le cas, les choses ne se passent pas tout à fait comme prévu. Les alliances défensives latentes se dessinèrent dans la plupart des pays voisins en Europe et en Russie, aux États-Unis et même au Japon. Soudain, les nations impliquées dans une course continuelle aux armements furent aspirées dans le tourbillon d’une guerre mondiale. À l’automne 1914, l’Allemagne combattait la Russie à l’est de son territoire alors que les forces alliées étaient retranchées le long d’une ligne de fortification en Belgique qu’aucune des deux parties ne pouvait quitter.
Le front de l’Ouest devint un enfer sanglant pour des millions de jeunes hommes qui se battirent et moururent sans raison ou cause connue.
En réfléchissant à ces terribles évènements datant d’il y a maintenant 100 ans, je me souvins d’un ami qui fut présent sur le front de l’Ouest et d’un message d’espoir pour un avenir dans lequel les guerres cesseront définitivement.
Souvenirs d’un monde et d’une époque éloignés
Cinquante ans après la fin de la Première Guerre mondiale, ma femme et moi vivions en Colombie-Britannique, au Canada. Nous étions devenus amis avec un couple de personnes âgées, immigrants allemands que j’appellerai M. et Mme Paul Brollech. Leur chaleur était remplie de la sagesse d’une ancienne époque et leurs conseils transmis avec un accent allemand très prononcé. Ils géraient bien leur petite ferme et avaient assez de récoltes, d’arbres fruitiers et de bétail pour subvenir à leurs besoins personnels et pour en donner aux autres, y compris, de temps en temps, à nous qui venions d’avoir un bébé.
Après avoir partagé pendant quelques années certaines méthodes de culture ainsi que des repas allemands authentiques, je me sentis à l’aise de poser une question personnelle à M. Brollech. Un soir, en jouant aux cartes, je lui demandai : « Pourquoi avezvous de tels tremblements dans les jambes, les bras et le visage ? »
Cela semblait être une question assez innocente, après tout, il venait de célébrer ses 80 ans. Je pensais qu’il allait tout simplement me dire que cela était dû à son âge avancé.
Mais M. Brollech se figea — bien que son corps continua à trembler encore un peu plus. Le sourire de sa femme disparut et un air renfrogné le remplaça sèchement. Elle semblait préoccupée, comme si elle craignait qu’il ne révèle un secret. Je m’étais engagé dans un domaine privé dans lequel, soudain, je ne me sentais pas le bienvenu.
Cinq ans avant cette soirée, j’avais parcouru la Belgique en vélo avec un ami d’université. Le printemps ensoleillé faisait place à une pluie froide qui s’abattait sur le paysage et sur nous tout au long du chemin allant de Bruxelles à Aachen, en Allemagne. Nous sommes tombés malades et furent pris par la fièvre après avoir roulés sous la pluie et campés, la nuit, dans des sacs de couchages humides sous une tente qui avait des fuites. Connaissant un peu l’histoire de la région, nous ne pouvions qu’imaginer ce que ces jeunes garçons, à l’époque, avaient vécu en marchant et en campant ici avant nous, alors qu’ils étaient poursuivis et qu’eux-mêmes poursuivaient d’autres jeunes hommes.
Nous avons roulé des kilomètres interminables à travers le paysage sans fin, sans voir une ville ou un être humain, simplement une succession de champs de cultures bourgeonnantes parsemés de haies bordées d’arbres et de fossés sinueux. Ce fut dans l’un de ses fossés, quelque part en Belgique,qu’un adolescent, Paul Brollech, hérita de ces tremblements.
L’histoire d’un jeune soldat
Ce fut douloureux pour M. Brollech d’en parler, et Mme Brollech craignait que ce faisant, il pourrait en quelque sorte mettre en péril leur citoyenneté dans leur nouveau pays d’adoption. Mais, finalement, il parla. Il voulait que je sache. « J’étais un soldat allemand pendant la Première Guerre mondiale sous les ordres du Kaiser Wilhelm » me dit-il avec tristesse et regret. À 80 ans, il se trouvait projeté en arrière, lors des événements qu’il avait vécus à l’âge de 18 ans.
Enrôlé pour défendre son fier pays, il fut pris dans la ferveur nationaliste de l’époque. Il commença, assez innocemment en ce qui le concerne, à rejoindre les foules d’autres jeunes hommes afin de servir Dieu et le pays sous le noble Kaiser. Il y avait les entraînements à la guerre, les dernières armes de pointe, l’équipement le plus moderne, beaucoup de nouveaux jeunes amis, tous vêtus de beaux uniformes et les citoyens qui achetaient activement les obligations de guerre afin de les soutenir.
Avec une profonde émotion (accompagnée de tremblements du visage), il tenta de trouver les mots pour décrire l’enfer intérieur qui le faisait souffrir depuis 60 ans : « Nous étions juste des enfants. Nous ne savions même pas ce que nous faisions là. Nous n’avions aucune idée de la cause pour laquelle on se battait. Je ne le sais toujours pas. »
L’enfer sur terre
Au début, l’armée allemande traversa rapidement une grande partie de la Belgique et du nord de la France afin de disperser très vite la défense à laquelle les allemands s’attendaient de la part des Français. Mais d’autres alliances entrèrent en jeux, amenant de plus fortes armées à se précipiter en masse dans l’espoir de repousser les forces allemandes de la région.
Le choc d’une accumulation massive de matériels de guerre des deux côtés créa un blocage total du front de bataille. M. Brollech et ses nouveaux camarades prirent les armes le long d’une ligne approximative de 765 km de tranchées qui s’étendaient de la mer du Nord au sud de la Suisse. Cela devint tristement connu sous le nom de « front occidental ».
Pour tenter de briser l’impasse, des obus massifs tombaient de chaque côté, envoyant des éclats d’obus sur toute la longueur des tranchées et déchirant toute personne prise dans leur trajectoire. Les tranchées en zigzag furent conçues pour restreindre la portée des éclats d’obus et des balles ennemies.
Au fil du temps, les systèmes de tranchées multicouches et de bunkers souterrains qui correspondaient entre eux devinrent permanents et complexes. Les deux parties s’enfoncèrent dans ce qui allait se révéler être un conflit long et meurtrier.
Une trêve temporaire
Cinq mois après la guerre, les jeunes hommes qui se battaient face à face avaient encore conservé quelques sentiments religieux et humains. En se souvenant du jour de Noël 1914, M. Brollech se mit à rire en décrivant le spectacle le long de la ligne de front.
« La veille de Noël, tout était calme. Puis, nous nous sommes mis à chanter des chants de Noël, et ils firent de même. Ensuite, nous chantions à tour de rôle ! » Le lendemain matin, ils sortirent tous de leurs tranchées et se réunirent dans le no man’s land (expression anglaise signifiant « terre d’aucune personne » et désignant une zone non habitée entre deux lignes de front) pour passer la journée ensemble.
Ils rirent, échangèrent des histoires, de la nourriture et des cigarettes. Ils expliquèrent que les cigarettes allemandes avaient un goût terrible et ils échangèrent tout ce qu’ils pouvaient contre quelques cigarettes britanniques et américaines.
« Nous nous sommes demandés : « Pourquoi faisons-nous cela ? « et personne ne le savait. » M. Brollech dit que les soldats britanniques étaient gentils et qu’il les avait bien appréciés. « Nous disions tous que nous n’avions pas de mauvais sentiments entre nous et combien il était agréable d’être ensemble. »
Ensuite, tous retournèrent dans leurs tranchées et ont recommencé à se tuer les uns les autres, le lendemain matin. Un jeune garçon allemand et vétéran, Eric Remarque, écrira plus tard : « Nous avions dix-huit ans et commencions à peine à découvrir la vie et le monde, et nous avons dû tout déchirer en mille morceaux. »
Des moyens désespérés pour sortir de l’impasse
Pendant l’été 1916, la pression augmentait pour trouver un moyen de briser l’impasse sur le front occidental. Les Britanniques et les Français avaient conçu un plan afin de pulvériser une section de la ligne allemande le long de la rivière de La Somme, et de pénétrer rapidement dans l’espace ainsi crée sur la ligne de front. Le 24 juin, ils bombardèrent une section de la défense allemande avec 1,7 million d’obus d’artillerie et s’avancèrent au pas de course dans le no man’s land. Ils réalisèrent trop tard qu’un grand nombre d’obus n’avaient pas explosé, laissant de nombreuses fortifications allemandes intactes. Se retrouvant dénués de toute protection, 60 000 jeunes hommes britanniques furent tués, la plupart dès la première heure. L’impasse sanglante continua.
Les soldats allemands firent également une tentative pour créer une brèche dans le front. Le développement et l’utilisation de gaz toxiques étaient interdits et considérés comme non civilisés avant la Première Guerre mondiale, mais ils devinrent justifiés par toutes les parties afin de sortir de l’impasse le long du front.
La première utilisation du chlore par les Allemands fut, à leur insu, tout à fait efficace. Cependant, ils ne se rendirent pas compte pleinement de l’impact du nuage de gaz qu’ils avaient envoyé flotter sur les Britanniques et n’avaient pas très envie de s’y précipiter eux-mêmes. Ainsi, même si plusieurs kilomètres du front occidental furent temporairement abandonnés, personne n’exploita la brèche.
Les forces alliées, décimées par le gaz, réalisèrent son potentiel et commencèrent à développer leurs propres versions de la guerre chimique ainsi que l’équipement nécessaire pour s’en protéger.
Tremblant de la tête aux pieds, M. Brollech déclara : « Je tremble parce que j’ai été gazépar les Britanniques avec du gaz moutarde. » Il ne s’étendit pas sur la réalité de cette expérience. Mais j’appris plus tard ce que cela signifiait. Le gaz moutarde causait des cloques sur la peau des victimes. Les soldats commencèrent à vomir et leurs yeux devinrent très douloureux. Le gaz causait des hémorragies internes et externes et détruisait les bronches et la membrane de la muqueuse protectrice, provoquant ainsi une grande douleur.
Une infirmière qui soignait les soldats atteints de brûlures de gaz moutarde dit en parlant des victimes : « Nous ne pouvions pas leur mettre aucun bandage ou les toucher. Nous les recouvrions en soulevant les draps comme pour en faire une tente. Les brûluresdevaient être atroces parce que, généralement les soldats ne se plaignent pas, même avec les pires blessures, mais les douleurs causées par les gaz étaient au-delà de l’endurance et ils ne pouvaient s’empêcher de crier. » (Leo Van Bergen, Before My Helpless Sight: Suffering, Dying and Military Medicine on the Western Front, 1914-1918, 1914-1918, 2009, p. 184).
Aujourd’hui encore, les cicatrices de la Première Guerre mondiale restent visibles dans le paysage belge. Des creux en zigzag et des dépressions circulaires au milieu des champs représentent les cicatrices des tranchées et des intenses bombardements survenus il y a un siècle.
Les expositions partielles aux gaz et le fait de porter des vêtements de protection chauds et encombrants s’ajoutaient aux conditions de vies déjà misérables le long du Front. En 1918, à la fin de la guerre, environ un million de soldats et de civils furent blessés par les gaz toxiques. Pourtant, malgré les supplices cruels qu’infligeaient les douleurs et les souffrances sans fin, l’utilisation de la guerre chimique n’eut aucun impact mesurable sur l’issue de la guerre. Et c’est en vain que M. Brollech fut handicapé à vie.
Le lourd bilan de la guerre
L’ensemble des bombardements incessants, des démantèlements réguliers, des produits chimiques dans l’air et le fait de voir leurs amis mourir eut un effet terrible sur les jeunes hommes qui combattirent. Le célèbre roman d’Eric Remarque « À l’Ouest, rien de nouveau » fut écrit pour tenter de décrire les contraintes physiques et mentales extrêmes de la guerre. Dans la préface de son livre, il déclara : « J’essaie seulement de dire ce qu’a été une génération brisée —même quand elle a échappé à ces obus. » (Préface reprise en langue française par Patrick Modiano.)
Quelque part du côté de la ligne des alliés se trouvait un autre jeune soldat du nom de Jean. Alors que les obus meurtriers éclataient dans les tranchées de chaque côté, la mort et la mutilation devinrent monnaie courante. Le jeune Jean pleurait sur le massacre de ses amis de jeunesse appartenant à son peloton. Finalement, lui aussi fut victime d’une attaque au gaz du côté allemand. Ces deux jeunes soldats, Jean et Paul, furent handicapés à vie. L’un devint mon ami, l’autre fut mon grand-père dont je porte le nom. Les champs de la Flandre, de Verdun et de la Somme virent des millions de jeunes hommes retranchés dans la terre au milieu des zones dévastées par les batailles de 1916. Certains appelèrent cette région, la Zone Rouge — tellement détruite et imprégnée de munitions non-explosées et dont l’habitation est impossible.
Aujourd’hui encore, les cicatrices de la Première Guerre mondiale restent visibles dans le paysage belge. Des creux en zigzag et des dépressions circulaires au milieu des champs représentent les cicatrices des tranchées et des bombardements intenses survenus il y a un siècle. Les agriculteurs, de nos jours, dénichent encore des munitions non explosées qui doivent être désamorcées et détruites.
Récemment, je suis retourné en Belgique. L’avion venant d’Afrique descendit lentement au-dessus d’une campagne printanière pacifique et abondante. La diversité des paysages et l’agriculture productive ne peuvent toujours pas masquer les cicatrices de 1914 à 1918 ; les ravins, apparemment érodés qui serpentent à travers champs sont en fait les tranchées en zigzag du front occidental.
Les subtiles dépressions circulaires dans les champs de céréales sont des cratères dans lesquels les obus d’artillerie ébranlèrent la terre, en la projetant vers le ciel.
Une future époque de paix
Malheureusement, le monde ne connait pas encore la fin de la guerre. Même à notre époque, des forces puissantes sont à l’oeuvre pour transformer le monde en alliances prophétisées lors de la fin des temps et des coalitions domineront le monde dans une époque que la Bible appelle « la grande tribulation » (Matthieu 24:21). Le livre de l’Apocalypse prédit la mort de milliards de personnes avant que l’humanité n’apprenne une leçon douloureuse : les guerres causées par l’Homme n’apportent que très peu de solutions et finalement ne conduisent qu’à l’effusion de sang et la souffrance.
Mais la prophétie biblique est finalement un message de grand espoir. À une époque où l’humanité est confrontée à son extinction lors d’un grand conflit mondial final (Matthieu 24:22), Jésus-Christ reviendra et instaurera Son Royaume glorieux de paix.
Puis, comme le prophète Ésaïe l’a prédit il y a longtemps, le monde connaîtra enfin la paix. Sous le règne du Messie prophétisé depuis longtemps, l’humanité oeuvrera enfin à la paix, et non à la guerre. « Il sera le juge des nations, l’arbitre d’un grand nombre de peuples. De leurs glaives ils forgeront des hoyaux, et de leurs lances des serpes : Une nation ne tirera plus l’épée contre une autre, et l’on n’apprendra plus la guerre. » (Ésaïe 2:4). Nous devrions tous prier pour cela quotidiennement, comme Jésus-Christ nous le demande dans la prière du Seigneur dans Matthieu 6:10, « Que ton règne vienne ».
Ce futur royaume traitera le problème de la dignité humaine, des vies écourtées ou radicalement modifiées par la guerre. La Bible enseigne que toutes les personnes qui ont ainsi souffert à travers l’histoire, revivront et auront l’occasion de connaître Dieu et le salut qu’Il nous offre !