Introduction
Il m’appelait pour me faire savoir que le pick-up de mon jeune frère Keith avait été retrouvé dans un endroit appelé Uncompahgre Plateau, une régioin montagneuse isolée et balayée par les vents du sud-ouest du Colorado.
Maintenant, nous savions au moins à quoi nous en tenir maintenant. Mais pour nous, les membres de la famille, on se posait toujours la même question : pourquoi a-t-il fait ce choix dévastateur. Nous étions conscients de sa solitude, de ses craintes et, plus que toute autre chose, de la dépression qui le tourmentait depuis l’adolescence. Mais le suicide ?
Il m’avait appelé quelques jours avant sa disparition pour me dire qu’il avait pris sa décision. Il ne finirait pas, nous disait-il, comme « un vieil homme solitaire, effrayé et malade ». Il voulait décider du moment, de la manière de finir sa vie et du lieu, car il ne voulait pas que nous retrouvions son corps.
Je suppose que je n’ai jamais vraiment cru qu’il en serait capable, bien qu’il en ait souvent parlé lorsqu’il déprimait, dans les moments où il avait l’impression que sa vie lui échappait. Avec le recul, j’aurais aimé mieux comprendre ce qu’était le suicide et ce qui pousse une personne à s’ôter la vie.
Les mois qui suivirent furent employés à étudier profondément le sujet du suicide, et je veux partager avec vous ce que j’ai appris. Vous connaissez peut-être quelqu’un — un membre de la famille, un ami ou une connaissance — sur le point de faire l’impensable.
J’espère que ce que j’ai appris contribuera à empêcher que cette tragédie n’arrive à une de vos connaissances.
Le suicide : un fléau grandissant
Le suicide fait tragiquement plus de 700 000 morts chaque année dans le monde entier, ce qui fait, qu’aux Etats-Unis, par exemple, il tue plus que les accidents de voiture ou les homicides.
En Europe, en 2019, le taux de suicide pour 100 000 habitants est de 13,9 % pour la Belgique, 9,8 % pour la Suisse et 9,7% en France. Pour l’Afrique, la Côte d’Ivoire affiche un taux de 15,7% pour le même nombre d’habitants.
En 2016, le suicide était la neuvième cause de décès. Il est particulièrement dévastateur pour les 18 à 24 ans. Il est la quatrième cause de décès chez les 15-24 ans. Il est choquant de constater que le suicide chez les enfants augmente à un rythme alarmant. C’est la première cause de mortalité pour les 25-34 ans, avec 730 morts en 2017. Cette même année, près de 3% des adolescents déclaraient avoir fait au cours de leur vie une TS (tentative de suicide) ayant nécessité une hospitalisation.
Dans sa rubrique Société-Santé du 5 février 2019, le journal Le Monde donne des chiffres très significatifs : « Certains chiffres collectés dans le cadre du baromètre de Santé publique France (25 319 personnes interrogées) sont particulièrement alarmants. Près d’une française âgée de 18 à 75 ans sur dix (9,9 %) déclarait ainsi en 2017 avoir tenté de se suicider au cours de sa vie (contre 4,4 % des hommes), une proportion en hausse de 2,3 points par rapport à 2005. Un pourcentage « énorme » qui peut s’expliquer par « le fait que c’est peut-être aujourd’hui plus acceptable de parler d’une tentative de suicide qu’il y a dix ans, la majorité des tentatives ayant lieu à l’adolescence entre 15 et 19 ans », note Enguerrand du Roscoät, responsable de l’unité santé mentale à Santé publique France, coauteur de l’étude. » (Le Monde.fr, « Suicide : 7,2 % des Français âgés de 18 à 75 ans ont déjà tenté de mettre fin à leurs jours », François Béguin, 5 février 2019.)
Le suicide est une tragédie nationale, et elle s’aggrave. Il est d’autant plus essentiel d’être informés sur les moyens permettant de trouver de l’aide. Un jour, vous serez peut-être confronté à cette situation et vous pourrez peut-être prévenir un suicide. Cette connaissance peut faire la différence.
La dépression : la grande coupable
Si les pressions de la vie moderne ont accéléré sa fréquence, le suicide faisait également des ravages dans l’ancien temps. L’envie irrésistible de s’ôter la vie affligea les peuples de toutes les nations, cultures, religions et systèmes de gouvernement à travers les âges.
Voici comment Kay Redfield Jamison le présenta dans son étude sur le suicide, Night Falls Fast : « Personne ne sait qui fut le premier à se trancher la gorge avec un morceau de silex, à s’empoisonner avec des baies ou à laisser tomber intentionnellement sa lance sur le sol au cours d’une bataille. Nous ne savons pas non plus qui fut la première personne à sauter de manière impulsive ou réfléchie d’une grande falaise, à marcher sans nourriture dans une tempête de glace ou à prendre la mer sans intention de revenir. »
Cependant, si le suicide peut être le résultat final de revers de fortune, d’un échec romantique ou de la découverte d’une maladie en phase terminale, la majorité des décès par suicide remontent à une grande cause : une dépression profonde et dévastatrice.
Par « dépression », nous parlons d’une grave dépression, d’un découragement et de sentiments durables de désespoir, et non d’une banale baisse de moral, d’un chagrin ou le fait d’avoir le « cafard » (bien qu’un long découragement puisse se détériorer et se transformer parfois en grave dépression).
Selon une enquête Coviprev de Santé Publique France, du 6 octobre 2022, il semblerait que 18 % des Français montrent des signes d’un état dépressif, et 12% ont eu des pensées suicidaires ce qui est « une tendance significative à la hausse depuis le premier point de mesure en février 2021 ».
Les États-Unis, affiche 19.2%, suivis par le Brésil (18,4%), les Pays-Bas (17.9%) et la Nouvelle-Zélande (17.8%). Une enquête, menée auprès de 89 000 personnes dans 18 pays (entre 2000 et 2005), révéla également que 15% des personnes vivant dans un pays riche disent avoir traversé une période dépressive, contre seulement 11% dans les pays en développement.
Le taux est plus élevé chez les femmes, et bien que l’on pensait que le taux de dépression des hommes était inférieur à la moitié de celle des femmes, selon de nouvelles estimations, il est plus élevé. Les pires formes de dépression consument leurs victimes et les rendent incapables de faire face à chaque nouvelle journée.
Les attitudes à l’égard de la dépression font que de nombreuses personnes qui en souffrent ne cherchent jamais d’aide. Les chiffres de la National Mental Health Association montrent que plus de la moitié des Américains pensent que la dépression est une faiblesse personnelle, un signe d’échec. Malgré des années de bombardement télévisuel sur les remèdes contre la dépression, quatre personnes sur cinq souffrant de dépression ne cherchent pas à se faire soigner. La raison principale ? Ils sont trop gênés pour demander de l’aide.
Les préoccupations relatives à la masculinité et à l’image de soi empêchent la plupart des hommes gravement déprimés à chercher de l’aide. Dans son best-seller national de 2003, I Don’t Want to Talk About It, le psychothérapeute Terrance Real parle de ce qu’il appelle « la dissimulation culturelle au sujet de la dépression chez les hommes » :
« L’une des ironies de la dépression masculine est que les forces mêmes qui contribuent à la créer nous empêchent de la voir. De nombreux hommes pensent qu’ils ne sont pas censés être vulnérables. La douleur est quelque chose que nous devons dépasser [...] Nous avons tendance à ne pas reconnaître la dépression chez les hommes parce que le trouble lui-même est perçu comme n’étant pas viril. Pour beaucoup, la dépression porte une double peine : les stigmates de la maladie mentale et ceux de l’émotivité « féminine » ». (p. 22).
La dépression fait des victimes dans toutes les couches sociales, elle atteint des personnes de tous QI et de toutes religions. La gloire et la fortune ne sont pas des antidotes contre le désir de mettre fin à ses jours et les suicides de personnes célèbres sont nombreux. La triste réalité est que de nombreux artistes, écrivains, scientifiques, athlètes, politiciens et hommes d’affaires parmi les plus doués de la société se sont suicidés.
Une grave dépression a poussé beaucoup d’autres au bord du suicide, bien qu’ils aient hésité avant d’aller plus loin. L’un des plus célèbres et des puissants dirigeants du XXème siècle, le Premier ministre britannique Winston Churchill, souffrait de dépression. Ses crises de dépression pouvaient durer des semaines, et pour les combattre, il se réfugiait dans le travail, niant souvent que son corps avait besoin de repos et de détente.